De l'Art Dégénéré ( 1937) à l'Art Dégénérant (2011)
Du 03 au 10 octobre 2011 de 02h00 à 02h02
Critique de l'événement
Dégénéré 1937, dégénérant 2011. 74 années pour aller du passé au présent. De ce qui est dégénéré de la génération créative de manière passive et désigné comme tel à ce qui est en train de se produire et qui agit, dégénérant quoi ? Ce qui est désigné comme dégénéré, c'est l'art que les Nazis identifient au même titre que les populations indésirables sur le territoire du Reich. Mais identifier, c'est donner une existence même à ce qu'on désire détruire.
Finalement, les ouvres existent, subsistent, demeurent pour leurs vertus subversives. L'art officiel doit prévaloir, celui dicté par des normes. On imagine assez bien les ouvres de l'art officiel. Celui de l'autorité, celui de la commande, celui de l'académie, celui du néoclassicisme, celui pour le peuple, celui qui ne dérange personne. C'est à Munich que les Nazis choisissent d'exposer la soi-disant perversité des artistes, qui dès lors sont associés à des malades mentaux dont on sait le sort sous le régime nazi : appellation de code T 4. Exposition unique en son genre qui, il faut le souligner donne une large vitrine - c'est un comble - aux artistes dégénérés comme Marc Chagall, Pablo Picasso, Vassily Kandinsky, Vincent Van Gogh, Max Ernst, Otto Dix. En 1939, les toiles seront revendues pour financer le régime nazi. Faut pas rire... Flatter le crétinisme et l'inculture des classes moyennes de l'Allemagne du troisième Reich naissant, c'est un des objectifs. Montrer à la face du monde l'art de l'avant-garde, c'est un autre objectif qui échappe sans doute aux organisateurs. Exposition extraordinaire qui en stigmatisant, autorise une partition essentielle entérinant une déconnection artistique avec la réalité de l'Europe dans les années 30. En tout, sept cent trente ouvres d'une centaine d'artistes. Quelle exposition actuellement réunit autant d'ouvres et d'artistes ? Propagande nazie.

Après le nazisme, le libéralisme est à l'ouvre, il est assurément plus impitoyable dans la mesure où il réduit l'acte à sa valeur marchande dans un monde où la marge créative est aussi un espace de marketing. Le Collectif LZ a organisé une exposition de 2 minutes à 2 h 00 du matin pendant 8 jours, du 03 au 10 octobre 2011, intitulée De l'Art Dégénéré (1937) à l'Art Dégénérant (2011). L'exposition refuse les dispositifs coutumiers qui, dans une leur monstration ordonnée font apparaitre la mortifère vitrine de la chose. Une musique cloître les images dans un espace réduit où le visiteur peut découvrir à nouveau comment la lumière se transfère à l'image, comment à son tour le son devient illustration du processus vers le rien par une sorte de magma sonore. Les images projetées sur les murs de la cavité sont celles des oeuvres des artistes dégénérés. Elles viennent traverser ou caresser les toiles d'artistes locaux, jusqu'à en extraire un spectre lumineux qui prévalut à la construction de l'image élaborée. Les vidéos se succèdent pour assurer une série vers la réduction au rien. Jour 1 : L'Histoire comme ruine / Jour 2 : Du dégénéré au dégénérant / Jour 3 : Parcours oublié / Jour 4 : La dialectique du même / Jour 5 : Angoisse de l'ellipse / Jour 6 : Le panoptique du spectre / Jour 7 : Zoom sur le gisant / Jour 8 : Le rien comme manifeste.

Une citation de Friedrich Nietzsche pour éclairer : « Nous ne possédons rien d'autre que des métaphores des choses, et qui ne correspondent absolument pas aux entités originelles », écrit-il dans Vérité et mensonge au sens extra-moral. Retour sur le processus qui ouvra à faire du monde un espace de réalité partagé, une très vaste métaphore. Chaque jour du 03 au 10 octobre, l'exposition évolue, donnant à voir moins. L'artiste soustrait au fur et à mesure des éléments pour ne plus rien exposer le dernier jour, une coque vide. La re-création du monde à l'envers, un remake du Big Bang pour interroger la création. Le texte entendu au cours de l'exposition du dernier jour évoque l'indicible : « 09, rendre visible le silence / être encore loin de ce qu'on veut montrer ; montrer l'invisible». Trop ou pas assez visible ; ce qui est à voir est entre les deux mais conduit l'artiste a toujours poursuivre sa quête. L'indicible est en jeu dans l'ensemble de l'exposition, cherchant à faire surgir ce qui est perdu dans la tentative artistique, ce qui est entrevu dans les glissements de 1937 à 2011, ce qui est dérobé dans les frottements de la lecture du monde... L'artiste propose alors un lieu qui autorise à extorquer quelque chose du réel, par une expérience de l'effondrement. Dégénéré 1937, donc ça c'est fait. Dégénérant 2011, c'est en train de se faire sur la génération actuelle, mais dégénérant quoi ? Ou se dégénérant lui-même ? Les deux, mon colonel. L'exposition du Collectif LZ rend le rien, le pas encore métaphorisé mais qui dans le même mouvement propose une autocritique, soulignant la défaite du projet artistique et l'extinction de l'artiste. Cette double installation visuelle et sonore cristallise l'écroulement de l'acte créatif.

Antoine Jurga
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