FRAGMENTS D'UN DISCOURS AMOUREUX
ROLAND BARTHES
« Pas un prêtre ne l'accompagnait »

SEUL. La figure renvoie, non à ce que peut être la solitude humaine du sujet amoureux, mais à sa solitude « philosophique », l'amour-passion n'étant pris en charge aujourd'hui par aucun système majeur de pensée (de discours).

Comment appelle-t-on ce sujet-là, qui s'entête dans une « erreur », envers et contre tout le monde, comme s'il avait devant lui l'éternité pour se « tromper » ?. On l'appelle un relaps. Que ce soit d'un amour à l'autre ou à l'intérieur d'un même amour, je ne cesse de « retomber » dans une doctrine intérieure que personne ne partage avec moi. Lorsque le corps de Werther est amené de nuit dans un coin du cimetière, près des deux tilleuls (l'arbre du parfum simple, du souvenir et de l'endormissement), « pas un prêtre ne l'accompagnait » (c'est la dernière phrase du roman). La religion ne condamne pas seulement, dans Werther, le suicidé, mais aussi, peut-être, l'amoureux, l'utopique, le déclassé, celui qui n'est « relié » à nul autre qu'à lui-même. (...)


WERTHER, 151.
ÉTYMOLOGIE : religare, relier.