La Ville État Limite n°1 - Installation :
Intimité à dissoudre - Michel Stanziano
29 janvier 2011
Critique de l'événement
Pouvoir évaluer, jauger, apprécier, comprendre une œuvre artistique, enfin une façon de dire qu’on reçoit une œuvre. Oui recevoir, le mot est bien finalement. Voilà, recevoir une œuvre pour en découvrir la puissance et être capable de déterminer la pertinence intrinsèque de l’œuvre. Impossible tentative colonisée, orientée, triangulée. Ce que je perçois est ce qu’on me donne à percevoir. La ville est ce lieu.

L’intimité à dissoudre. Il faut donc le faire. L’œuvre pose les conditions d’un regard qui redit la subjectivité. Celle perdue depuis l’envahissement des murs et des désirs de la ville. La ville comme un corps dont je suis issu et avec lequel j’existe. Ma ville ne s’est pas faite en jour, dit l’autre. C’est de la psychoarchéologie, répond le citadin. Et pas qu’un peu. Les 29 janviers 2011 et 1562 se superposent, celui de la performance de Michel Stanziano et celui où on décida de persécuter les hérétiques dans la ville de Valenciennes.

Si je regarde je suis troublé par le décalage, si je me penche je suis ébloui. Je me vois mais pas au bon endroit. Mon image, captée par une caméra, est projetée sur une toile recouverte de cendres ; traces de l’intimité donnée à voir dans sa consumation. Il y a perte du regard et dans cette perte réside ce que je sais exister comme résistance à ma capacité visuelle, mais qui est tout. L’œuvre me surveille en train de regarder. Je sais alors que j’existe. L’œuvre recrée du vide, décentre l’individu pour regarder à nouveau. Ma sombre part inconsciente, l’angle mort du regard, le reste du lieu écarté par la lumière, trop forte pour mes yeux, m’échappent mais affirment en même temps leur effective présence.

Le testament de Michel Stanziano c’est une concentration d’objets relevant de la part intime de l’artiste, de projets politiques, et celui même de la dissolution de l’intimité de celui qui regarde le dispositif. L’auto réflexion permet le miroir. L’installation propose au regard, sous l’éblouissement, des images de bribes d’œuvres de notre culture commune, des résultantes d’engagements, des miettes de gommes, des cendres de photographies, des clés de consignes où l’artiste a disséminé 14 des pans de sa vie personnelle tel un Osiris postmoderne… Le mythe demeure mais creux. Reste le reste de l’intimité livrée dans une consistance et une matière déchet. Le bruitage continuel confirme la profondeur de l’œuvre, c’est celui du pinceau qui gratte une toile d’un peintre valenciennois. Je suis alors au cœur de l’œuvre, au sein de l’intimité devenue commune. Je peux œuvrer.

L’installation par sa perturbation invite à se ressaisir du projet, projet pour soi, projet pour la communauté. Le miroir continuel que propose la société est dénoncé pour une réappropriation du territoire, de son territoire. Narcisse 1er est mort ici, livré au reflet. Pour que le projet de la ville corresponde aux projets des individus qui la constituent. Et si les strates de ma ville permettaient d’y glisser la dissolution de mon intimité, de concéder une dimension réactivée à l’altérité et de reprendre forme ?

Antoine Jurga
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