RELIRE
Tragédie en 12 actes + 1 de Structure pour l'Éphémère
Janvier à décembre 2012








Est-ce que je ne sais faire que des virgules ...







quand le mystère me traverse ?
LIRE
Ulysse de James Joyce
« Inéluctable modalité du visible : tout au moins cela, sinon plus, qui est pensé à travers mes yeux. Signatures de tout ce que je suis appelé à lire ici, frai et varech qu'apporte la vague, la marée qui monte, ce soulier rouilleux. Vert-pituite, bleu argent, rouille : signes colorés. Limites du diaphane. Mais il ajoute : dans les corps. Donc il les connaissait corps avant de les connaître colorés. Comment ? En cognant sa caboche contre, parbleu. Doucement. Il était chauve et millionnaire, maestro di color che sanno. Limite du diaphane dans. Pourquoi dans ? Diaphane, adiaphane. Si on peut passer ses doigts à travers, c'est une grille, sinon, une porte. Fermons les yeux pour voir.

Stephen ferma les yeux pour écouter ses chaussures broyer bruyamment goémon et coquilles. Il n'y a pas à dire, tu marches bien à travers. Oui, une enjambée à la fois. Très court espace de temps à travers de très courts temps d'espace. Cinq, six : le nacheinander. Exactement, et voilà l'inéluctable modalité de l'ouïe. Ouvre les yeux. Non. Sacredieu ! Si j'allais tomber d'une falaise qui surplombe sa base, si je tombais à travers le nebeneinander inéluctablement. Je m'arrange très bien comme ça dans le noir. Mon sabre de bois pend à mon côté. Tâtons avec : c'est comme ça qu'ils font. Mes deux pieds dans ses bottines sont au bout de ses jambes, nebeneinander. »

James Joyce, « Ulysse »

« Ineluctable modality of the visible: at least that if no more, thought through my eyes. Signatures of all things I am here to read, seaspawn and seawrack, the nearing tide, that rusty boot. Snotgreen, bluesilver, rust: coloured signs. Limits of the diaphane. But he adds: in bodies. Then he was aware of them bodies before of them coloured. How? By knocking his sconce against them, sure. Go easy. Bald he was and a millionaire, _maestro di color che sanno_. Limit of the diaphane in. Why in? Diaphane, adiaphane. If you can put your five fingers through it it is a gate, if not a door. Shut your eyes and see.

Stephen closed his eyes to hear his boots crush crackling wrack and shells. You are walking through it howsomever. I am, a stride at a time. A very short space of time through very short times of space. Five, six: the _nacheinander_. Exactly: and that is the ineluctable modality of the audible. Open your eyes. No. Jesus! If I fell over a cliff that beetles o'er his base, fell through the _nebeneinander_ ineluctably! I am getting on nicely in the dark. My ash sword hangs at my side. Tap with it: they do. My two feet in his boots are at the ends of his legs, _nebeneinander_. »

James Joyce, « Ulysses »























La création des reliques.















Lecture ! Pourquoi m'as-tu abandonné ?
Cabinet de relecture #1 : Comment s'efface un chef d'oeuvre ?
Finnegans Wake de James Joyce
Du 31 janvier au 21 février 2012 - 19H30
1, rue Guynemer 59300 Valenciennes
Performance de lecture et d'effacement par gommage du roman Finnegans Wake de James Joyce réécrit au crayon gris sur 7 cahiers par Michel Stanziano entre le 11 août 2004 et le 15 février 2005.


« Je veux m’être vue parmi elles, allaniuvia pulchrabelle. Superbe, la sauvage Amazie, quand elle se collait à mon sein ! Fantastique, Nilune, voulant s’arracher mes cheveux ! Car elles hantent, elles sont les furies. Ho hang ! Hang ho ! Et le clac de nos cris jusqu’à ce que nous sautions, libres. Auravoles, y disent, jamais entendu ton nom ! Mais je perds tous ceux qui sont là et tout ce que j’haime. Seulune dans ma seule à seule. Pour toutes leurs fautes. Je passe O fin amère ! Je filerai avant qu’ils se lèvent. Ils ne verront jamais. Ne sauront jamais. S’en rendront pas compte. Et c’est vieille et vieille, c’est triste et vieille c’est triste et fatiguée que je reviens à toi, mon froid père, mon froid fou vieux père, mon froid fou férieux vieux vie père, jusqu’à voir simplement de près sa grandeur, des moilieux, des moilieux, gémoinissonnant, mal de mer vaisselle et je cours, mon unique, dans tes bras. Je les vois se lever ! Sauve-moi de ces fourches therribles ! Encore deux. Encore un ou deux mhomments. Sois. Avelaval. Mes feuilles m’ont quitté, dérivent. Toutes. Mais l’une s’accroche encore. Je la porterai sur moi. Pour me souvenir de. Lff ! Si doux ce matin nous. Oui. Emporte-moi, papa, comme tu l’as fait à la foire du trône ! Si je le voyais fonçant sur moi maintenant avec ses ailes déployées blanches comme il est venu des Archanges, je pense que je m’abimerais morte et couvrant ses pieds, clochue mafflue, rien que pour les laver. Oui, reflux. Là où c’était. Premier. Nous passons à travers herbe en silence par le buisson vers. Whish ! Une mouette. Mouettes. Appels de loin. Ca vient, loin ! Fin ici. Nous alors. Finn encore ! Prends. Baisouille-toilui, memormoilui ! Jusqu’à millefinti. Lps. Baisers-clés. Ciel donne ! Allez voir le seul dernier l’aimé le long le »

James Joyce, « Finnegans wake »



















Plonge, ou soumets-toi !










La cire. Le mât. Le lien. Les oreilles.
Cabinet de relecture #2
Boutès de Pascal Quignard
21 février 2012 - 22H30
1, rue Guynemer 59300 Valenciennes
Performance et lecture de Boutès de Pascal Quignard.


« Boutès monte sur le pont et saute.
La où la pensée a peur, la musique pense.
La musique qui est là avant la musique, la musique qui sait se « perdre » n’a pas peur de la douleur. La musique experte en « perdition» n’a pas besoin de se protéger avec des images ou des propositions, ni de s’abuser avec des hallucinations ou des rêves.
Pourquoi la musique est-elle capable d’aller au fond de la douleur ? Car elle y gît.
Le chant qui se tient avant la langue articulée – simplement plonge, plonge comme Boutès plonge – dans le deuil de la Perdue. »

Pascal Quignard, « Boutès »














La démocratie : une poupée gonflable.
Cabinet de relecture #3 : Relecture tribale du politique


Sommes-nous contraints de devenir sorciers, de rentrer en transe pour interpréter nos propres valeurs ?
La figure dans le paysage - Autour de Jean Rouch
Jean Rouch, « Les maîtres fous »

Sans théorie politique, peut-il y avoir une prise en compte de la transversalité (structure de la réalité qui s'impose) en utilisant les discours de la verticalité (grand discours de la modernité) ?
France Culture, « Les candidats à la présidentielle sont-ils l'incarnation de notre temps ? »

Subissons-nous un clivage entre la forme et l'idée que l'on défend en politique ?
Umberto Eco, « Chapitre V. Lire les choses », in « La guerre du Faux »

Exemple : Relire un conseil municipal. Entre théâtre de la cruauté et relecture tribale.
Budget primitif de la ville de Valenciennes
Le conseil municipal du 22 mars 2012




































Nous sommes tous des voteurs blancs !




















Le voteur ménopausé.
Cabinet de relecture #4 : Élire est-il encore sérieux ?
Liste et slogans des 10 vrais candidats aux 1er tour des élections :

Jacques Lacan : « Le libéralisme : jouissez sans libido ! »
 
Jacques Derrida : « Ta démocratie est auto-immune ! »
 
Roland Barthes : « L'intransitif dupe le transitif ! »
 
Peter Sloterdijk : « Violez votre implicite ! »
 
Slavoj Žižek : « Esclave, il est urgent de te retrouver des maitres à ta hauteur ! »
 
André Green : « Le suicide sans tragédie ! »
 
Le Trickster : « Pour un ministère du désordre ! »
 
Le marquis de Sade - Pourvoyeur de fond de l'homme d'état
 
Nicolas Macchiavel : « Tout est bon dans le cochon politique ! »
 
Marcel Duchamp : « Ton ready-made politique ! »
 
























L'art d'arranger les cadavres



















Non au méta !
Cabinet de relecture #5 : L'âge du capitaine
« J'espère que l'on comprendra que ce texte fonctionne, quelles que soient sa valeur ou sa signification ; il peut être vu et revu, en partie à cause de sa surcharge informationnelle, que le spectateur ne pourra jamais maîtriser. Par ailleurs, un texte vidéo de ce genre pose un certain nombre de questions, dont les plus intéressantes restent celles de sa valeur et de son interprétation. A condition de saisir, toutefois, que c'est peut-être l'absence de toute réponse possible à ces questions qui rend historiquement cet objet intéressant. Mais notre effort pour raconter ou résumer ce texte montre bien que, avant même d'arriver à la question interprétative (« Qu'est-ce que cela veut dire ? » ou, dans sa version petite-bourgeoise, « Qu'est-ce que cela est censé représenter ? »), nous devons affronter le problème préliminaire de sa forme et de sa lecture. Il n'est pas évident qu'un spectateur arrive jamais à un moment de connaissance et de mémorisation optimale, à partir duquel se déclencherait progressivement une lecture formelle de ce texte : des commencements, des combinaisons, des résolutions partielles, etc. Mais si l'on pouvait établir un tel tableau général du déroulement de l'oeuvre, notre description n'en resterait pas moins aussi vide et abstraite que la terminologie des formes musicales.»

Fredric Jameson, « Vidéo : le surréalisme sans l'inconscient », in « Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif »

« Puisque tu fais de la géométrie et de la trigonométrie, je vais te donner un problème : Un navire est en mer, il est parti de Boston chargé de coton, il jauge 200 tonneaux, il fait voile vers Le Havre, le grand mât est cassé, il y a un mousse sur le gaillard d'avant, les passagers sont au nombre de douze, le vent souffle NNE, l'horloge marque trois heures un quart d'après-midi, on est au mois de mai... On demande l'âge du capitaine. »

Gustave Flaubert















Tu pisses aux 4 coins qui n'existent plus
Cabinet de relecture #6 : Architecture et niveaux de réalité


« Besides this dramatic formal intervention (whose use of cheap junk material must also be retained, as we shall see in a moment), the other dramatic feature of the newly wrapped house involves the glassing of the driveway area and, in particular, the new skylighting of the kitchen, which, seen from the outside of the house, appears to protrude into outer space like an enormous glass cube -- the "tumbling cube" Gehry has called it -- which "marks the junction of the streets with what during the day is a receding void and at night is an advancing solid like a beacon." 11 This characterization by Macrae-Gibson strikes me as interesting, but his interpretation of the cube, which returns to Malevich's mystic quadrilaterals ( Gehry once designed a Malevich exhibit, so the reference is not as arbitrary as it might seem), seems to me completely misguided, a willful attempt to reinscribe the old-clothes junk aesthetic of a certain Postmodernism within the loftiest metaphysical vocations of an older high modernism. Gehry himself has often insisted on what is obvious to any viewer of his buildings, namely, the cheapness of their materials -- "cheapskate architecture" he once called it. Besides the corrugated aluminum of this building, he has an obvious predilection for steel mesh, raw plywood, cinder block, telephone poles, and the like, and even at one time in his career designed (astonishingly ornate) cardboard furniture. Such materials clearly "connote"; 12 they annul the projected syntheses of matter and form of the great modern buildings, and they also inscribe what are clearly economic or infrastructural themes in this work, reminding us of the cost of housing and building and, by extension, of the speculation in land values: that constitutive seam between the economic organization of society and the aesthetic production of its (spatial) art, which architecture must live more dramatically than any of the other fine arts (save perhaps film), but whose scars it bears more visibly even than film itself, which must necessarily repress and conceal its economic determinations. »

Fredric Jameson, « Architecture : équivalents spatiaux dans le système-monde », in « Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif »

























Le super Stockholm



















Pris en otage par ce que l'on croit être.
Cabinet de relecture #7 : La consommation des objets-signe
« La consommation n'est ni une pratique matérielle, ni une phénoménologie de l'abondance, elle ne se définit ni par l'aliment qu'on digère, ni par le vêtement dont on se vêt, ni par la voiture dont on se sert, ni par la substance orale et visuelle des images et des messages, mais par l'organisation de tout cela en substance signifiante ; elle est la totalité virtuelle de tous les objets et messages constitués dès maintenant en un discours plus ou moins cohérent. La consommation, pour autant qu'elle ait un sens, est une activité de manipulation systématique des signes.

L'objet-symbole traditionnel (les outils, les meubles, les maisons elle-même), médiateur d'une relation réelle ou d'une situation vécue, portant clairement empreinte dans sa substance et dans sa forme la dynamique consciente ou inconsciente de cette relation, donc non arbitraire, cet objet lié, imprégné, lourd de connotation, mais toujours vivant de par sa relation d'intériorité, de transitivité vers le fait ou le geste humains (collectifs ou individuels), cet objet-là n'est pas consommé. Pour devenir objet de consommation, il faut que l'objet devienne signe, c'est à dire extérieur de quelque façon à une relation qu'il ne fait plus que signifier - donc arbitraire et non cohérent à cette relation concrète, mais prenant sa cohérence, et donc son sens, dans une relation abstraite et systématique à tous les autres objets-signes. C'est alors qu'il se "personnalise", qu'il existe dans la série, etc. : il est consommé - non jamais dans sa matérialité mais dans sa différence.

Cette conversion de l'objet vers un statut systématique de signe implique une modification simultanée de la relation humaine, qui se fait relation de consommation (au double sens du mot : à s'accomplir et à s'abolir dans et à travers les objets, qui en deviennent la médiation obligée, et, très vite, le signe substitutif, l'alibi.

On voit que ce qui est consommé, ce ne sont jamais les objets, mais la relation elle-même - signifiée et absente, incluse et exclue à la fois, - c'est l'idée de la relation qui se consomme dans la série d'objets qui la donne à voir.

La relation n'est plus vécue : elle s'abstrait dans un objet-signe où elle se consomme. »

Jean Baudrillard, « Le système des objets »















« J'crois bien qu'maman a un zizi ! »






Diviser le désir pour mieux régner sur la jouissance.
Cabinet de relecture #8 : Fragmentation du corps
« L'efficacité de ce système possessif est directement liée à son caractère régressif. Et cette régression est liée au mode même de la perversion. Si celle-ci en matière d'objets s'évoque de la façon la plus claire dans la forme cristallisée du fétichisme, rien n'interdit de voir tout au long du système, comment, s'organisent selon les mêmes fins et les mêmes modes, la possession/passion de l'objet est - disons un mode tempéré de la perversion sexuelle. De même en effet que la possession joue sur le discontinu de la série (réelle ou virtuelle) et sur le choix d'un terme privilégié, de même la perversion sexuelle consiste dans le fait de ne pouvoir saisir l'autre comme objet de désir dans sa totalité singulière de personne, mais seulement dans le discontinu : l'autre se transforme en le paradigme des diverses parties érotiques de son corps, avec cristallisation objectale sur l'une d'entre elles. Cette femme n'est plus une femme, mais sexe, seins, ventre, cuisses, voix ou visage : ceci ou cela de préférence. A partir de là, elle est "objet" constituant une série dont le désir inventorie les différents termes, dont le signifié réel n'est plus du tout la personne aimée, mais le sujet lui-même dans sa subjectivité narcissique, se collectionnant-érotisant lui-même et faisant de la relation amoureuse un discours lui-même.

Ceci était assez bien illustré par la séquence initiale d'un film de J.-L. Godard, Le Mépris. »

Jean Baudrillard, « Le système des objets »























La mort : ne plus savoir lire.



















Quand pourrir arrive avant.
Cabinet de relecture #9 : Ce que l'on voit, ce qui nous regarde.
« La plus simple image n'est jamais simple, ni sage comme on le dit étourdiment des images. La plus simple image, pour autant qu'elle vienne au jour comme vint au jour le cube de Tony Smith, ne donne pas à saisir quelque chose qui s'épuiserait dans ce qui est vu, voire dans ce qui dirait ce qui est vu. Il n'y a peut-être d'image à penser radicalement qu'au delà de l'opposition canonique du visible et du lisible. L'image de Tony Smith, quoi qu'il en soit, échappe d'emblée, malgré sa simplicité, sa "spécificité" formelle, à l'expression tautologique - sûre d'elle-même jusqu'au cynisme - du Ce que nous voyons, c'est ce que nous voyons. Elle a beau être minimale, elle est une image dialectique : porteuse d'une latence et d'une énergétique. A ce titre, elle exige de nous que nous dialectisions notre propre posture devant elle, que nous dialectisions ce que nous y voyons avec ce qui peut, d'un coup - d'un pan -, nous y regarder. C'est-à-dire qu'elle exige que nous pensions ce que nous saisissons d'elle en face de ce qui nous y "saisit" - en face de ce qui nous y laisse, en réalité, dessaisis. Le cube de Tony Smith, malgré son formalisme extrême - ou plutôt à cause de la façon dont son formalisme se donne à voir, se présente -, déjoue par avance une analyse formaliste qui serait envisagée comme pure définition des "spécificités" de l'objet. Mais il déjoue tout aussi bien une analyse iconographique qui voudrait l'envisager à tout prix comme "symbole" ou allégorie au sens trivial de ces termes (c'est-à-dire au sens des manuels d'iconographie).

Devant lui, notre regard et inquiété. Mais comment un simple cube peut-il en venir à inquiéter notre voir ? La réponse tient peut-être, une fois encore, à la notion de jeu, lorsque le jeu suppose ou engendre un pouvoir propre du lieu. »

Georges Didi-Huberman, « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde »























Là où même Sade rougirait.


















Le mythe du corps caverneux

















"Paye moi avec la bonne monnaie et tu fais de moi ce que tu veux !" dis le grand A.
Cabinet de relecture #10 : Nous force-t-on à subjectiver le fantasme ?
Une semaine de vacances de Christine Angot
« Dans l'art contemporain, nous rencontrons souvent des tentatives brutales de retour au réel qui sont censées rappeler au spectateur (au lecteur) qu'il est en train de participer à une fiction et à le tirer de cette douce rêverie. Ce geste se présente sous 2 formes principales qui bien qu'opposées ont le même effet. Dans la littérature ou le cinéma il y a (particulièrement dans les textes postmodernes) des rappels autoréflexifs qui nous signalent que ce que nous regardons est une pure fiction, par exemple quand, à l'écran les acteurs s'adressent directement à nous en tant que spectateurs ruinant ainsi l'illusion de l'espace autonome de la fiction narrative, ou quand l'écrivain intervient directement dans la narration par des commentaires ironiques. Au théâtre, il y a des événements occasionnels brutaux qui réveillent en nous la réalité de la scène, par exemple le fait de tuer un poulet sur la scène). Au lieu de conférer à ces gestes une dignité brechtienne, de les percevoir comme une version de l'aliénation, il faudrait les dénoncer pour ce qu'ils sont : l'exact opposé de ce qu'ils prétendent être - des fuites devant le réel, des tentatives désespérées au réel de l'illusion elle même, ce réel qui émerge dans la guise d'un spectacle illusoire.

Ce à quoi nous sommes confrontés ici c'est l'ambigüité fondamentale de la notion de fantasme : tandis que le fantasme est l'écran qui nous protège de la rencontre avec le réel, le fantasme lui même, dans ce qu'il a de plus fondamental, ce que Freud appelait le fantasme fondamental, celui qui fournit les données les plus élémentaires de la capacité du sujet au désir ne peut jamais être subjectivé est doit demeurer refoulé afin de fonctionner. »

Slavoj Zizek, « Lire Lacan »

« Elle le sent bander encore plus dans sa bouche. Ça n’arrange pas les crampes dans ses joues, et plus particulièrement dans les maxillaires, là où l’articulation est sollicitée. Lui malaxe, palpe ses seins, quand il titille le bout, ça la gêne, ça la déconcentre, elle voudrait qu’il arrête. Elle ne s’interrompt pas pour libérer sa bouche, et dire que ça la dérange, elle continue, elle pense qu’il va de toute façon vite revenir vers la partie pleine des seins, pour les reprendre à pleines mains, et que ce n’est donc pas la peine d’arrêter de le sucer pour recommencer quelques secondes après, en ayant fait ralentir le processus général, et peut-être compromis la finalité. De toute façon il va probablement arrêter de lui toucher les seins, parce que ça l’oblige à se pencher vers l’avant pour les atteindre, à se plier, et comme il est assis sur la lunette, et qu’elle est agenouillée entre ses jambes sur le carrelage, ça l’oblige à rester courbé trop longtemps, il ne va sûrement pas rester comme ça, à lui coincer le sommet du crâne avec son ventre qui avance, ce qui restreint la liberté de mouvements sur son membre. L’amplitude du moins. Dans peu de temps, ça va lui tirer dans le bas des reins, et il va se reculer pour se reposer vers l’arrière, sûrement même il s’adossera au couvercle de la lunette qui à la fois sert de dossier et protège du contact avec la faïence du réservoir. Quoique, il a l’air de tenir. Il est toujours plié en deux, les bras ballants, qui passent par-dessus la lunette en bois blanc, pour atteindre ses seins, bien ronds, bien fermes, bien gonflés, avec le petit bout encore durci par le jet d’eau froide par lequel elle a terminé sa douche comme toujours, durci forcément un peu aussi par les caresses, de manière mécanique, automatique, anatomique, réflexe, comme si quelqu’un était en train de pincer le bout de son sein comme on presse sur un bouton électrique et que le courant répondait. Comme elle s’y attendait il arrête d’en titiller le bout, et place les globes dans ses paumes comme s’il les soupesait. Il dit « tu crois que ça se vendrait bien au marché des gros pamplemousses comme ça ? Continue. Surtout ne me réponds pas, continue. Continue, ne t’arrête surtout pas, c’est très très bon, continue. Ne t’arrête pas. Tu le fais très bien. Tu es douée. Encore s’il te plaît. C’est bien. C’est bon. Continue. C’est bien. Tu aimes ? Ne me réponds surtout pas. Surtout ne dis rien. Fais-moi un signe, bouge la main si c’est oui. Si tu aimes tu agites la main. Tu lèves juste la main. Lève-la s’il te plaît. Si tu aimes lève-la. Tu aimes ? Tu la lèves là ? »

Christine Angot, « Une semaine de vacances »











Duchamp ... crédible ... quand trouvée ... Joconde ... dans poubelle ... stop
Cabinet de relecture #11 : Les déchets d'oeuvres après Duchamp
« Inéluctable modalité du visible : tout au moins cela, sinon plus, qui est pensé à travers mes yeux. Signatures de tout ce que je suis appelé à lire ici, frai et varech qu'apporte la vague, la marée qui monte, ce soulier rouilleux. Vert-pituite, bleu argent, rouille : signes colorés. Limites du diaphane. Mais il ajoute : dans les corps. Donc il les connaissait corps avant de les connaître colorés. Comment ? En cognant sa caboche contre, parbleu. Doucement. Il était chauve et millionnaire, maestro di color che sanno. Limite du diaphane dans. Pourquoi dans ? Diaphane, adiaphane. Si on peut passer ses doigts à travers, c'est une grille, sinon, une porte. Fermons les yeux pour voir.

Stephen ferma les yeux pour écouter ses chaussures broyer bruyamment goémon et coquilles. Il n'y a pas à dire, tu marches bien à travers. Oui, une enjambée à la fois. Très court espace de temps à travers de très courts temps d'espace. Cinq, six : le nacheinander. Exactement, et voilà l'inéluctable modalité de l'ouïe. Ouvre les yeux. Non. Sacredieu ! Si j'allais tomber d'une falaise qui surplombe sa base, si je tombais à travers le nebeneinander inéluctablement. Je m'arrange très bien comme ça dans le noir. Mon sabre de bois pend à mon côté. Tâtons avec : c'est comme ça qu'ils font. Mes deux pieds dans ses bottines sont au bout de ses jambes, nebeneinander. [...]














Refaire un stage dans le liquide amniotique pour réaprendre à lire.
Cabinet de relecture #12 : La voix, l'affect et le signifiant hors langue

« Revenons au sonor anténatal. Le fœtus a-t-il la capacité de discriminer les bruits comme extérieurs à lui ? Et qu'est-ce que ce "lui", non encore distinct, à cette période, de la mère qui l'entoure ? Comment lui prêter, fût-ce projectivement, une "compréhension" ? Mais aussi, comment faire table rase de ce bruit de fond qui enveloppe ce qui lui arrive, si tant est que l'expression ait un sens ? Très précocement, et même dès le premier jour de sa naissance, l'enfant reconnaît parmi d'autres voix celle de sa mère. Mais quel statut a cette reconnaissance : celle d'une familiarité sans doute, mais est-elle perçue comme distincte de lui, reconnue ? Et ses propres expressions sonores, les reconnaît-il parmi celles des autres enfants avec lesquels il cohabite à la maternité ?

Au moins peut-on affirmer que le silence que nous avions l'habitude de rattacher à ce narcissisme utérin prénatal est une construction mythique, et qu'il n'est pas interdit de penser que, même en l'absence de distinction entre les partenaires, un dialogue se constitue de fait, ne serait-ce que par "émergence" de certains moments, qui diffèrent des autres. Naît un duo intérieur, celui où précisément les états internes plus ou moins stables ou continus sont interrompus par une discontinuité d'une grande variété sonore, perçue en écho ou en réponse aux bruits corporels reliés à l'univers maternel. »

André Green, « Du signe au discours »