Que dire après l'effondrement ? Peut-on ne rien dire ? L'individu est
condamné à exprimer en retour ce que l'événement produit sur lui. Il
provoque une discrète réponse émergeant alors du flux continu de l'existence.
Et si Orphée ne s'était pas emparé de sa lyre pour chanter ? Oui., s'il
était parvenu à garder le silence. Et si les aèdes qui entendirent son
mutisme s'étaient tus à leur tour ? La performance du 08 avril 2011 au
Hangar redit le mythe, là, en province. Mais qui pour le recevoir ? Des
dizaines et des dizaines de livres pour étouffer le chant d'Orphée ou celui
du cygne valenciennois qui tente de tenir un discours. L'ensemble est voué
flammes des enfers, qui assurément consument, détruisent celui qui voudrait
s'arc-bouter. Le réel est intenable. Aller chercher son Eurydice n'est pas
sans soucis. D'ailleurs, Orphée échoue. Pourtant on lui avait dit : surtout
ne te retourne pas. Ne regarde pas. Jouis sans chercher à comprendre. Alors
les animaux de la forêt furent sous le charme de sa plainte. La plainte
était déchirante, suscitait l'intérêt des hôtes de ces bois, et elle était
belle. Elle répondait au réel de la perte réitérée mais elle était belle. On
pouvait l'écouter opérer son charme. Ici, même le chant d'Orphée est annulé.
L'artiste valenciennois s'auto-annihile. Les notes et les mots lancés par
Jean Séb Sip, avec la détermination d'un gisant brandissant, avec les
dernières forces, les armes de sa faconde, sont affaiblis par des parois
livresques veillant à leur effondrement radical. Des pans qui semblaient
solides s'écroulent sur lui, altérant la voix de celui qui agonise,
enterrant peu à peu Jean Seb Sip sous un funeste incunable. L'ouvre s'effondre
sur elle-même, annulant par là même la possible et nécessaire parole. Que
dire quand il n'y a plus rien à dire ? Redire ici, parce que l'homme reçoit
la lyre en héritage et qu'il ne peut éviter son recours même si son chant
est opprimé. Les résonances lyriques, qui auraient pu animer le fondement
sensible des êtres attentifs au chant de l'impossible, sont rageusement
dépecées, lacérées, absorbées par les dents d'une tronçonneuse avide et
fracassante. Et qui se souvient du grand violoniste, compositeur, chef d'orchestre
Eugène Bozza ? Directeur du Conservatoire de Valenciennes pendant vingt-cinq
ans ? Elle se meurt la musique de ceux qui la pratiquent au service du
sensible. Les résonances du violon de Jean Seb Sip participent d'un
amuïssement progressif qui souligne l'extinction de l'être et de sa parole.
Sa pauvre parole s'affronte au mythe pour le rejouer sur le territoire
valenciennois. Il produit alors un événement, marquant que quelque chose a
eu lieu dans la grande forêt mais dont la résonance est épuisée.
Antoine Jurga
Le Tombeau de Jean-Séb Sip
Dans le flot continu des laves du vocable
Qu’un val ancien noie selon l’Eternité
Violant son cantique en toute aménité
L’homme de l’arbre chu croît par Dieu qui l’accable
Dès lors qu’en son sursaut dénombrant l’insécable
Il coupe à qui mieux mieux la sombre infinité
Prométhée lui démontre enfin l’inanité
De ses vains feux follets mort qu’il est et peccable
Et c’est dans cet ardent ensevelissement
Parmi les bafouillis et le bleuissement
Des lèvres de Jean-Séb qu’il faut bénir sa tombe
Du mystère qu’on livre à la discrétion
Qui dans l’autodafé par delà l’oubli tombe
Ce monolithe seul souffre en résurrection
Chris Talldark