La Ville État Limite n°12 - Théâtre :
La mimésis de soi
L'auto-fiction de l'imparfait
Une production de l'art pingre - Avare Art
21 décembre 2011
Critique de la performance
Le théâtre est par nature le lieu où l’on montre. Il est un microcosme dont la réduction et le reflet autorisent l’accès à une forme de révélation. C’est l’endroit d’un retour qui permet de prendre conscience sans le risque. Quel espace créatif conserve-t-il, lorsque chacun affiche un masque au quotidien ? Les acteurs depuis la scène pourraient tout aussi bien observer le public et y lire la mise en scène du rien, du quotidien. La fictionnalité en jeu dans l’espace théâtral invite alors l’individu à prendre conscience de la fictionnalité de sa propre existence. Le théâtre est originellement le lieu des spectacles publics. Si la dimension du spectacle s’est dépossédée elle-même de sa fonction, celle du moment partagé et commun n’opère plus que dans une mystification du simulacre. La douzième et dernière performance de l’année intitulée, Théâtre : La mimésis de soi, met en « scène » cette perte et l’autofiction de celle-ci, car il s’agit bien de la mise en scène de l’impossible tableau de l’intimité à dissoudre. Pour y parvenir, la performance « théâtrale » fonctionne alors dans sa virtualité. En effet, le coryphée, le choeur, les acteurs de la pièce finale ont été remplacés par leur potentialité, leur trace, leur reprise, leur écho ; leur ersatz.

Le théâtre est par définition le lieu de la représentation mais ici rien n’est plus re-présenté dans la mesure où nulle action n’est incarnée. La voix du coryphée fait résonner sa dématérialisation pour signifier le déplacement vers un non-lieu ou vers un lieu inopérant. Les choristes ont été préalablement filmés pour n’apparaître que sous une apparence projetée dont la force tient à leur présence-absence. La littéralité des événements, des textes et des personnages révèle paradoxalement la puissance de la virtualité de ce qui se joue pour nous, là à un endroit, mais également partout dans nos vies.

Cette dernière performance de l’année doit se lire comme l’ultime testament, concrétion de toutes les performances. Le drapé de tous les textes réunis qui ont suscité le projet des douze performances, textes fondateurs qui ont nourri et instruit le projet de leur puissance littéraire, esthétique et philosophique, sont ici matériellement détruits par le feu, une fois le drapé déposé sur un mannequin. Celui-ci se tient au centre d’un plateau circulaire soulignant que le théâtre se joue avant tout pour modifier le terrain de nos existences. La protection que constitue le drapé de textes se disqualifie pour associer ainsi individu et langage dans un rapprochement dangereux lorsque que fabula et mimesis du théâtre ne permettent plus de tenir à distance le mystère du monde. « La langue, le corps, la réalité sont devenus des étrangers l’un pour l’autre », nous dit la voix de l’acteur invisible.

Vingt et une minutes de représentation sans acteurs, sans direction, sans musique in situ, pendant lesquelles nulle intervention ne peut être captée. Les choses se font, les choses se brûlent, les choses s’écroulent, les choses s’éteignent… pour signifier ici la multiplication des reflets qui ne parviennent plus à assurer leur fonction première de miroir pour une prise de conscience. S’il reste une marge où le théâtre peut se déployer c’est celle de la dé-figuration pour souligner le déplacement vers son extinction.

La performance permet d’observer en accéléré l’archéologique de la représentation, racontant ainsi l’histoire du théâtre depuis les reflets de la grotte, en passant par ses pratiques antiques, pour en arriver à nos jours et dire l’état du rapport au terrain de leur existence que connaissent les individus actuels. Comment indiquer que le théâtre représente aujourd’hui « à vide » ? Comment souligner l’inaptitude du théâtre à dire la ville dans son état limite quand les comportements ne recourent plus à la catharsis pour évaluer ses dérives, ses excès, ses erreurs, ses valeurs… ? Quand la scène n’est plus un lieu du commun ?

Antoine Jurga
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